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Le “travail” de la liberté

Les pages d’Augustin ont-elles quelque chose à nous apprendre, à nous hommes et femmes d’aujourd’hui, qui sommes assoiffés de bonheur et de liberté ?

Nous ne pouvons pas nier en effet que, dans les démocraties avancées, en Occident surtout, la technoscience domine assez fortement notre vie personnelle et sociale. Pour la question des origines de la vie, de son déroulement et de sa fin, la technoscience semble, dans la mentalité courante, se substituer aux religions, aux philosophies. À bien y regarder, le phénomène lui-même de la globalisation est étroitement dépendant du fait que l’Occident est en train d’imposer au monde entier une conception du bonheur comme pur produit progressif de la technoscience.

Il semble, à première vue, que la culture contemporaine nie tout l’enseignement d’Augustin contenu dans l’affirmation d’Evodius dont nous sommes partis: « Si j’avais le pouvoir d’être heureux, je le serais sûrement déjà. Je voudrais l’être dès aujourd’hui et je ne le suis pas, parce que ce bonheur ne dépend pas de moi, mais de Lui ». Aujourd’hui, la technoscience semble donner à l’homme le pouvoir d’être heureux. Non seulement de vouloir le bonheur mais de pouvoir le réaliser par soi-même, directement, sans le recevoir d’aucune façon comme un don.

Ce qui s’exprime ainsi, c’est la prétention à jouir d’une liberté inconditionnée. Une liberté qui a tout en son pouvoir: “je peux et donc je dois”, tel est l’impératif catégorique de la technoscience.

Descartes avait peut-être déjà identifié la justification historique et culturelle du pouvoir du savoir scientifique: la promesse de rendre l’homme « maître et possesseur de la nature ». Le pouvoir du savoir scientifique repose, d’une part, sur son universalisme théorique et pratique (en opposition à la multiplicité et à la conflictualité des religions), de l’autre sur l’immense accroissement des possibilités que la science à travers la technique, met à la disposition du monde. Ainsi la technoscience incite-t-elle de fait la raison à renoncer à poser les questions qui portent sur les fondements (“Et moi, qui suis-je ? Qui, finalement, m’assure de mon être, au-delà de la mort, par son amour ?”). Et elle pousse la liberté à s’engager presque exclusivement dans les réalisations confiées à un technicisme toujours plus puissant qui, donc, pour finir, se justifie toujours davantage lui-même.

On entrevoit ici une forme post-moderne d’utopie qui ne va pas sans lourdes conséquences au niveau social. En effet, tout ce qui ne rentre pas dans l’optique de cette forme d’“universalisme scientifique” est, au mieux, relégué dans une sorte de réserve indienne qui ne peut aspirer à avoir une importance publique universelle.

Que faut-il opposer à cette mentalité ? Certainement pas les plaintes ni la recherche obsessive du coupable, mais la foi entendue comme réponse humainement accomplie. La foi vive qui témoigne la vérité, la beauté et la bonté du don gratuit de la rencontre avec le Christ. La voie de la rencontre entre le cœur et la grâce. Entre la capacité de vouloir, qui ne disparaît jamais, et le don qui accomplit le désir de bonheur. Et ce n’est pas un hasard si, aujourd’hui encore, après la Bible, Les Confessions d’Augustin est l’œuvre la plus imprimée du monde.

Saint-Augustin, Oeuvres, Gallimard (La Pléiade), 1998,

3 vol. : I - Confessions, dialogues philosophiques, II - La Cité de Dieu, III - Philosophie, catéchèse, polémique.

- Confessions, Gallimard (Folio), 1993. –

Qu'est-ce donc que le temps?, Babel. 

N. Neush, Initiation à Saint Augustin, Le Cerf, 2003. –

Collectif, Saint Augustin, une mémoire d'Algérie, Somogy, 2003.

- Peter Garnsey, Idées sur l'esclavage, d'Aristote à Saint-Augustin, Les Belles Lettres, 2003.

- Henri-Irénée Marrou, Saint Augustin et l'Augustinisme, Le Seuil, 2003.

 - Emmanuel Bermon, Le Cogito dans la pensée de Saint Augustin, Vrin, 2001.

- Peter Brown, La vie de Saint Augustin, Le Seuil, 2001.

- Nadeau, Vocabulaire de Saint Augustin, Ellipses marketing, 2001.

- Philippe Sellier, Pascal et Saint Augustin, Albin Michel, 2000.

- Philippe Kaeppelin, Journal d'Augustin, prélude aux confessions de Saint Augustin, Imago, 2000.

 - Georges Minois, Galilée, PUF (QSJ), 2000.

- Du même, L'Eglise et la science, histoire d'un malentendu, Fayard, 1990-91,

2 vol. : I - de Saint Augustin à Galilée, II - de Galilée à Jean-Paul II.

- Marie-Françoise Baslez, L'invention de l'autobiographie, d'Hésiode à Saint-Augustin, Rue d'Ulm, 1993.

 - Bernard Heudre, Saint Augustin, ou la naissance de l'homme occidental, L'Atelier.

Avec ce point sur Pélage qui nous sert de transition, nous pouvons affronter l’étude de la théologie augustinienne. L’influence de Augustin dans la formation de la doctrine de la grâce est immense. Avec lui, un corpus doctrinal important commence à se former autour de la question de la grâce, sur l’homme et sa relation avec Dieu. Ceci donnera lieu aux traités de gratia dans la théologie. C’est pas un petit détail si le terme « grâce » apparaît dans le titre des œuvre d’Augustin. Parfois on a vu une opposition entre la doctrine de la divinisation des Pères grecs, et le concept de grâce comme aide pour le bien ou la libération du péché propre d’Augustin. Cette évaluation n’est pas du tout exacte.

Même si le langage change beaucoup, nous ne pouvons oublier qu’en Saint Augustin, il y a l’écho de plusieurs thèmes de la théologie précédente. La faveur gratuite de Dieu se manifeste dans l’Incarnation du Verbe est « grâce »[1]. Il y a chez Augustin une importance particulière qu’il met au niveau de l’union de tous les hommes en Christ. Sa théologie du Christus totus est à la base de son ecclésiologie et même de son anthropologie. En Christ se réalise l’union de tous les hommes, et on peut trouver le salut seulement dans l’union avec son corps.

Le destin de chaque individu est de chaque individu est donc l’entrée dans ce corps du Christ, la communion avec la tête, avec le chef qui fait de nous des membres du « Christ total ». Augustin connaît aussi le mystère de la présence de Dieu en l’homme, comme le plus intime de notre être et il a consacré plusieurs pages pour parler de l’inhabitation de la Trinité et spécialement de l’Esprit Saint en nous, et pour cela, nous somme temple de Dieu, et tous ses fils adoptifs. Augustin connaît aussi la doctrine de la « divinisation », qui est la conséquence de l’amour de Dieu, parce que tout homme est ce qu’est son amour.

Saint Augustin reprend en écho donc la tradition précédente sur la grâce et on ne peut pas dire qu’il s’agit d’un aspect marginal dans sa pensée. Mais il n’y a pas de doute que la controverse pélagienne d’une part et l’expérience personnelle d’Augustin d’autre part, l’obligent à insister sur le problème de la grâce et de la liberté, et sur la nécessité de l’aide de Dieu afin que l’homme puisse faire le bien. Contre les idées de Pélage que nous avons déjà mentionné, Saint Augustin part de l’esclavage dans lequel se trouve l’homme sous le péché, immergé dans la masse des condamnés d’où Christ seul peut l’en libérer, sans aucun mérite de sa part. Le baptême l’arrache de cette situation, fais de lui membre du Christ en l’incorporant à l’Eglise. La grâce de Dieu est libératrice, et seul le Christ donne à l’homme la liberté pour le bien[2] parce qu’en lui-même l’être humain n’a autre chose que mensonge et péché, et il obtient tout le reste de Dieu.[3]

Augustin insiste beaucoup sur l’impossibilité pour le gentil de faire le bien, de celui qui n’a pas été incorporé en Christ de faire le bien. Dans ce contexte il cite souvent Rm 14,23 « tout ce qui ne vient pas de la foi est péché » et il utilise aussi Rm 10,3 et He 11,6, pour faire voir surtout pas comment ce que font les gentils est mal dans le sens que leurs œuvres sont peccamineuses. Il s’agit plutôt de faire comprendre que n’étant pas mues par l’amour de Dieu, ces œuvres seront inévitablement entachés par l’orgueil. D’ici la nécessité absolue de la grâce pour le salut, parce que autrement, le Christ serait mort inutilement.

Les textes pauliniens de Gal 2,21 si la justice vient de la loi, le Christ serait mort en vain, et de 1Cor 1,17, afin que la croix du Christ ne reste pas vaine, sont utilisés par l’évêque d’Hippone précisément pour mettre en lumière la différence entre l’enseignement de Pélage et la doctrine catholique : la nécessité de la grâce est la nécessité de Christ.[4] Pour cela, l’homme sans grâce ne peut pas éviter le péché, ne peut pas vivre dans le droit chemin, ne peut pas accomplir les œuvres authentiques de vertu.

D’ici provient une nouvelle dimension de la notion de la grâce, l’adiutorium, l’aide nécessaire afin que l’être humain puisse faire le bien.[5]  Nous avons ici un aspect de la grâce qui, dans un certain sens, est nouveau par rapport à ce qui a déjà été dit dans la tradition. C’est la présence de Dieu en l’homme en tant qu’il le rend capable de faire le bien, lui donne la force de faire ce que la « nature » humaine ne peut pas faire de part ses propres forces. Cette aide divine est nécessaire à tout moment, et même le juste a besoin du soutient constant de la grâce divine pour accomplir le bien. La présence de Dieu, sa faveur et son aide, signifient ainsi la perfection de l’homme. Cette aide est offerte gratuitement à l’homme, et c’est pour cela qu’il prend le nom de « grâce » ; l’inspiration est directement paulinienne.

Mais nous pouvons pourtant nous demander ce que signifie grâce. Dans certaines conditions, on ne peut pas préciser ce que pense Augustin en parlant de « grâce ». Il s’agit d’un terme générique pour indiquer la faveur de Dieu, son amour salvifique, comme quelque chose de contraposé au mérite de l’homme par lequel personne ne peut se sauver. On ne peut pas invoquer le mérite devant Dieu, parce que nous recevons tout de Lui.[6] Mais, à partir d’autres textes, on voit se qu’Augustin entend par grâce : c’est le don du Saint Esprit présent en l’homme, puisque l’une et l’autre (la grâce et l’Esprit Saint) ont le même effet[7]. C’est cette même présence de Dieu qui permet que l’homme agisse bien et soit bon. A ce niveau, Saint Augustin suit aussi la doctrine traditionnelle, il n’y a pas d’indices qui considèrent la grâce comme une qualité ou quelque chose de propre de l’homme ; du moins cette vision des choses ne semble pas être développée dans ses écrits.

L’influence de la grâce pour faire le bien n’élimine pas le libre arbitre de l’homme. Il y a exactement le contraire. Ce qui est propre à la liberté chrétienne est la libération du mal et du péché ; la liberté plus pleine est celle de plus pouvoir pécher. Certains textes du Nouveau Testament sont particulièrement important pour sa doctrine : Jn 8,32 « vous connaîtrez la vérité et la vérité vous libèrera ! », Jn 8,36 « Si le Fils vous libère, vous serez vraiment libres », Mt 6,13 « Libère-nous du mal ».

La grâce rend donc possible la liberté humaine. Dieu agit en nous, certainement, mais pas par une impulsion physique, mais par l’attraction amoureuse qui demande et suscite une réponse. Cette attraction amoureuse est telle que non seulement nous connaissons le bien, et l’aimons, mais nous le suivons de manière joyeuse, de manière que cette grâce non seulement nous montre la vérité, mais aussi la charité.[8] Ainsi, la delectatio, le goût pour le bien, vainc l’ignorance et la faiblesse humaines. La grâce n’annule pas la liberté, mais de l’intérieur, elle le rend apte à faire le bien qui lui est appétible. C’est de là qu’apparaît la fameuse formule augustinienne : « nous détruisons le libre arbitre par la grâce ? Au contraire, plutôt nous la consolidons »[9] Vu donc que tout est un don de la grâce, même notre liberté, on exclut la possibilité de nous glorifier face à Dieu, de s’enorgueillir, parce que nous recevons tout de lui, tout ce que nous avons et tout ce que nous sommes. Mais ceci ne veut pas dire que ce que nous faisons n’est pas notre et que Dieu ne nous récompense pas pour cela ; nous faisons le bien et en conséquence, nous sommes couronnés à cause de sa miséricorde[10]. Mais tout ce que l’homme fait véritablement de bien, c’est Dieu qui le fait en lui et par lui[11].

Nous ne pouvons pas conclure cette brève synthèse sur la pensée augustinienne sans dire un mot sur sa doctrine de la prédestination. En effet, certains de ses écrits donnent l’impression que la volonté universelle de salut de Dieu, se limite seulement à certains élus qui se libèrent de la masse des damnés de cette humanité noyée dans le péché. En libérant ceux qui en soi ne le méritent pas, Dieu montre sa miséricorde. Une profonde et bonne réflexion sur ce thème chez Augustin est développée en ligne sur Internet dans le site des bénédictins de Port-Valais. Au moment de saisir nos fiches, on al trouvait à l’adresse url suivante :            http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/polemiques/pelage/predestination.htm.

Augustin se sent obligé de combattre Pélage pour qui la grâce dépend de nos mérites. Pour ceci, il recourt à l’idée de la prédestination, comme moyen pour sauver la gratuité de la grâce. Tous les hommes sont débiteurs chez Dieu ; il n’y a pas de partialité chez lui s’il remet la dette de certains et pas pour d’autres.[12] En effet, le problème de la prédestination se joue dans l’harmonisation de la miséricorde et de la justice. Il semble chez Augustin qu’il n’est pas facile d’accorder la grâce et la miséricorde avec la justice ; la grâce n’est pas accordée selon les mérites parce que Dieu est miséricordieux ; elle n’est pas donnée à tous parce que Dieu est juge.

Ainsi, la grâce est donnée gratuitement à certains ; le jugement juste sur les autres, montre le bien que fait la grâce à ceux à qui elle a été donnée.

 

B2 – La grâce chez Saint Augustin

Avant tout développement de notre thème sur les axes majeurs de la doctrine de Saint Augustin de la « la grâce », disons que « Augustin est appelé le ‘docteur de la grâce’ et il faut bien admettre qu’il fut le premier à écrire de manière systématique sur ce sujet… »[13]. Saint Augustin nous a laissé un héritage qui a servi et continue à nous servir dans la théologie de la « grâce ». Ainsi signalons que, pour bien comprendre la pensée d’Augustin, il faut faire recourt aux éléments ou les influences qui ont présidé à l’élaboration de sa théologie de la « grâce ». Disons-le, la pensée d’Augustin a été influencée, d’une part, par la métaphysique néo-platonicienne d’où il tire l’idée de la participation, et, d’autre part, par l’enseignement biblique notamment 1 Jean 1,18 ; Rm 5,15-20, etc. et par son expérience personnelle[14].

De ce fait, hormis cette introduction,  dans les lignes de notre travail pratique, nous allons faire ressortir les grandes idées des axes majeurs de la doctrine augustinienne de la grâce. Une brève conclusion va boucler notre modeste travail.

1. LA GRACE EST AVANT TOUT UNE RELATION

Chez l’Évêque d’Hippone, parler de la « grâce » renvoie à une sorte de relation entre l’homme et Dieu. Pour lui, la grâce exprime une relation : « Non seulement elle est un ‘pont’ instrumental possible entre l’homme et Dieu, mais encore elle est toujours la bienveillance de quelqu’un qui se donne. Elle n’est donc pas d’abord et seulement un ‘intermédiaire’, même si après Augustin on parlera de grâce ‘créée’ et  de grâce ‘justifiante’ comme de quelque chose existant en soi »[15].

En effet, en parlant de la grâce, Augustin fait allusion au rapport de l’homme avec Dieu ; c’est ce qu’il appelle la « grâce de Dieu » et de façon particulière du rapport de l’homme avec son Rédempteur ou la « grâce du Christ ». Tout cela passe par la charité que le Saint Esprit diffuse dans le cœur de l’homme ou « inspiratio caritatis ». La dimension relationnelle de Saint Augustin est développée dans la référence au libre arbitre et à la liberté[16].

2. LA RELATION DE LA GRACE AU LIBRE ARBITRE ET A LA LIBERTE

Augustin fait une distinction entre le libre arbitre et la liberté. Il comprend le libre arbitre comme une faculté de choisir qu’a chaque homme dès sa naissance (il est inné). Aussi affirme-t-il à ce propos : « C’est la volonté elle-même en tant qu’elle appartient à une nature spirituelle. Il ne peut jamais être perdu, même si la volonté se trouve en situation d’esclavage par rapport au péché »[17]

Selon  Augustin, la liberté n’est pas à considérer d’emblée comme le pouvoir du choix. Elle est à considérer comme l’amour du bien ; elle est « l’état de la volonté orientée vers le bien qui est Dieu. Elle s’inscrit dans le mouvement qui conduit l’homme, selon sa vocation,  à participer à la vie divine »[18]. Ce qui le conduit à dire que cette liberté n’a d’existence que dans la grâce et que Dieu est le premier qui aime et donne. Soutenant cette distinction, il estime que « si l’homme contredit cette orientation, il perd cette liberté. Mais il garde son libre arbitre »[19]. Augustin poursuit en disant qu’« il existe une articulation entre le libre arbitre et la liberté. Le premier sert de médiation à la seconde »[20].

Par ailleurs, pour Augustin, la grâce est souveraine puisque « nous n’avons rien que nous ayons reçu et tout vient de l’initiative gratuite de Dieu. Pourtant, notre libre arbitre demeure, puisque le propre de la grâce est de ne pas nous contraindre mais de nous faire agir librement »[21]. Augustin soutient que sans la grâce nous ne pouvons rien. Selon lui, Dieu donne le posse, le pouvoir, mais pour le facere, le faire, il nous faut la grâce. C’est Dieu qui opère en nous le vouloir et le faire. La question que certains théologiens posent à Augustin est : « Y a-t-il mérite si c’est Dieu lui-même qui opère en nous le vouloir et le faire » ? Il répond  par l’affirmative, parce que quand Dieu couronne nos mérites, il couronne ses propres dons. L’homme, opine-t-il, est libre et cette liberté ne peut s’exercer que poussé par la grâce[22].

3. LA RELATION DE LA GRACE A LA NATURE

A la suite de ces idées nous découvrons une autre relation de la grâce avec la nature créée de l’homme. Par ici, Augustin réfute l’affirmation de Pélage selon laquelle « la grâce pouvait être considérée  dans la création même du libre arbitre en tant que nature, c’est-à-dire le ‘pouvoir’ être libre »[23].  Augustin est contre Pélage qui soutient qu’il y a possibilité pour l’homme de ne pas pécher. Saint Augustin s’inspirant de l’Epître de l’Apôtre Saint Paul aux Romains, affirme que tous les hommes sont pécheurs sans exception aucune : Rm 5, 12-21 ; 1Jn 1,8. Pour lui, dire qu’on n’a pas péché est synonyme de dire qu’on n’a pas besoin du salut du Christ. C’est ce qui le conduit à dire que la nature humaine est blessée, natura viciata, elle est malade, elle a besoin d’un médecin, de la grâce médicale, de la gratia samans. Enfin, Augustin estime que notre liberté est seulement atténuée.

4. LE COMMENCEMENT DE LA FOI ET LA PERSEVERANCE FINALE

Dans les discussions d’Augustin avec les moines d’Adrumète et de province, il se dégage un enseignement positif. Pour Augustin, « la relation de fond entre la grâce et la liberté vaut de la totalité de l’existence de l’homme. Elle marque le commencement de la foi, ou la première conversion ; elle se poursuit pendant toute la vie ; elle se retrouve au terme par le don de la persévérance finale »[24]. Saint Augustin répond aux moines qui insistaient sur l’effort personnel en disant que c’est une tentation vers le pélagianisme, on les appellera sémi-pélagiens. Alors, il dit : la foi vient de Dieu et le tout premier mouvement de la foi vient de Dieu (cf. 1Co 4,7).

5. GRACE ET PREDESTINATION

Avant de développer ce point, il convient pour nous de signaler que la doctrine de la prédestination a été soutenue par Augustin avant même la crise pélagienne, en 397, dans ses deux livres à Simplicien sur diverses questions. Pour Augustin, la prédestination « est l’acte par lequel Dieu décide éternellement le salut de ceux qui seront effectivement sauvés »[25]. A ce propos, Augustin s’est inspiré des textes de saint Paul, entre autres : Rm 8, 29-30 ; Rm 9, 9-21 ; Ep 1,5…

En effet, sans ses écrits, Augustin ne montre pas seulement que le juste pour persévérer a besoin d’une grâce spéciale, il dit aussi que la grâce de la persévérance est une grâce toute puissante et infaillible qui donne au juste non seulement le pouvoir de persévérer mais la persévérance même. Cette grâce est efficace et en même tant gratuite, et Dieu l’accorde à qui il veut. S’adressant à Simplicien, il dit : 

 « Ce n’est pas parce que Dieu trouve chez les hommes des œuvres bonnes qu’il est à choisir, que pour cela son dessein de justification demeure ferme ; mais c’est parce que ce dessein demeure ferme pour justifier les croyants qu’il trouve par là des œuvres bonnes dont il fait alors choix pour le Royaume de Dieu »[26].

Ce qui précède le conduit à soutenir que la grâce est un don gratuit de Dieu, qu’il accorde à qui il veut. C’est donc, un fait que tous les justes ne la reçoivent pas. Car, avance-t-il, si tous la recevaient, tous persévéreraient, or, il en est qui tombent et meurent dans le péché. Pourquoi cette discrimination ? A qui pose la question, Augustin répond et c’est sa seule réponse : nous ne le savons pas. Mais, continue-t-il, c’est de sa propre volonté que tombe celui qui tombe.

De notre part, nous nous posons la question de savoir si avec ces idées Augustin a sauvegardé la volonté salvifique universelle ? Le salut n’est-il pas universel ? Néanmoins, nous reconnaissons qu’ici il est allé trop loin. Nous estimons qu’il applique la doctrine Massa damnata, c’est-à-dire que Dieu donne la grâce à certains et laisse les autres dans la Massa damnata[27]. De ce fait, « pour Augustin lui-même, la non prédestination de certains n’est pas arbitraire : elle a en Dieu des raisons que nous ne connaissons pas en ce monde mais que nous connaîtrons dans la vie future ».

CONCLUSION

Somme toute, disons que nous venons de parcourir là les axes majeurs de la doctrine augustinienne de la grâce. Ces axes sont : la grâce est avant tout une relation ; la relation de la grâce au libre arbitre et à la liberté ; la relation de la grâce à la nature ; le commencement de la foi est la persévérance finale et grâce et prédestination. L’étude de ces axes nous a fait constater qu’Augustin a tellement insisté sur la grâce qu’il n’a pas respecté la liberté. Si je suis sauvé, dit-il, c’est par la gratia Dei mecum. On le voit, il insiste tellement sur la grâce qu’il en vient à négliger le ego, le moi qui symbolise la liberté.

En effet, Bernard Sesboüé est d’avis avec Augustin du fait qu’il ait affirmé la primauté absolue et donc éternelle de l’initiative divine et de la grâce. Toutefois, il remarque qu’Augustin s’est enfermé dans des concepts trop anthropomorphiques pour penser l’éternité et la causalité divine. L’éternité n’est pas le temps. Or, Augustin tombe sans une représentation temporaire de l’éternité qui amène à situer l’acte de Dieu et l’acte de l’homme sur le même plan, selon l’ordre de l’avant et de l’après. L’Église réagit contre une telle manière conception. Nous croyons qu’avec l’aide et la coopération du Christ, tous les baptisés peuvent et doivent, en vertu de la grâce reçue du baptême, accomplir tout ce qui est nécessaire au salut de l’âme, s’ils veulent y travailler. Car dans la doctrine de la prédestination de certains hommes au mal, non seulement beaucoup de théologiens ne l’admettent pas, mais aussi on peut, comme le dit le concile d’Orange en 529, déclarer anathèmes tous ceux qui veulent croire à une pareille énormité. Nous pensons également qu’admettre et soutenir la théorie de la prédestination reviendrait à la remise en question de l’amour de Dieu et de la notion du péché ; en effet, l’amour de Dieu supprime-t-il la responsabilité de l’homme ?     



[1] Cf. Bonner, G., Augustine’s conception of deification,  JThSt 37, (1986) 369-386.

[2] Cf. De perf. Iust. Hom.II 1

[3] Cf. Sermo 21, 4.

[4] Cf. De nat. Et de gratia, 2, 2 ; 9,10.

[5] Cf. De nat. Et de gratia, 53,62 ; 58,68 ; 60,70.

[6] Cf. Contra duas ep. Pel., I,6, 12ss.

[7] Cf.  De nat. Et gra. 60,70 ; 64,77.

[8] Cf. de grat. Christi et de pecc. Orig.I 13,14.

[9] Cf. De spir. et lit. 30,52.

[10] Cf. De grat. et lib. Arb. 8,21

[11] Cf. Contra duas ep. Pelag. II 9, 21.

[12] Cf. Contra duas ep. Pelagionarum, II 7,13.

[13] B. SESBOUE (dir), Histoire des dogmes, Tome 2. L’Homme et son Salut, Paris, Desclée, 1995, p. 287.

[14] A ce propos lire Dictionnaire de la Théologie Catholique, Encyclopédie Universalisa, Paris, Albin Michel, 1998, pp. 110-111.

[15] B. SESBOUE, Op.cit., p. 30.

[16] Cf. Dictionnaire Théologique Catholique, p. 111.

[17] B. SESBOUE, Op.cit, p. 304.

[18] Idem.

[19] Ibidem, 309.

[20] Ibidem, 305.

[21] Idem.

[22] Cf. Dictionnaire de la Théologie Catholique, Op.cit, pp. 112-113.

[23] Cf. B. SESBOUE, p. 306.

[24] Ibidem, p. 307.

[25] Ibidem, p. 308.

[26] AUGUSTIN, cité par Idem.

[27] Ibidem, p. 310-311. 

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